Paul Eluard mobilisé à Mantes-la-Jolie durant la Grande Guerre: des mots pour la paix
Repris du blog de Roger Colombier.
Pour qui veut connaître un peu mieux Mantes-la-Jolie, une information que je ne connaissais pas.
En vérité, Emile Eugène Paul Grindel (1895-1952) n'est pas encore Paul Eluard.
Et il est mobilisé à la station-magasin militaire de Gassicourt loin d'être à cette date un simple quartier de Mantes-la-Jolie.
Mais sur le territoire de Gassicourt, s'élèvent la gare de Mantes-Embranchement, la cité Buddicom des cheminots, le dépôt des machines et derrière celui-ci, la station-magasin embranchée au rail.
Chaque station-magasin, rattachée à un corps d’armée, doit lui fournir un nombre fixe de rations pour les hommes – pain, viandes, légumes secs et céréales, vin et eau de vie –, essence pour les moteurs, mais aussi du fourrage pour les chevaux.
En plus des installations de stockage, la station-magasin abrite un abattoir, une boulangerie et une brûlerie à café. Le parc à bestiaux se situe sur l'île-aux-Dames. Depuis les stations-magasins, les marchandises sont transportées par rail jusqu’aux entrepôts, le plus près de la ligne de front. Elles sont ensuite acheminées vers les cuisines fixes et roulantes.
Aucune photo n'illustre la station-magasin de Gassicourt. Mais le cliché ci-dessous d'une autre station est parlant.
Avant la guerre, une compagnie de la 22e Section des commis et ouvriers militaires et administration (COMA), formée par des appelés effectuant leurs 3 ans de service militaire, occupe les lieux.
Or, à mesure que la guerre décime les rangs des régiments et prend de l'ampleur, tous les hommes valides des COMA partent pour le front. Ils ne restent dans les stations-magasins que de vieux territoriaux, des soldats en convalescence ou trop traumatisés pour rejoindre les combats. Et comme les bras manquent toujours, on y adjoint des prisonniers de guerre, des journaliers de la région, plus quelques travailleurs venus des colonies.
Mais cet afflux de militaires et de civils, célibataires en grande majorité, entretient une certaine nuisance dans Gassicourt fort de 2 141 habitants. entre la station-magasin et la gare, le long du chemin de fer. Dès lors, le 25 novembre 1914, le maire règlemente la prostitution : « Les débitants et tenanciers des maisons de débauche sont tenus de demander une autorisation […] avant de recevoir régulièrement des femmes de mœurs légères ; ceci permettra d’ailleurs de les astreindre pratiquement aux visites sanitaires obligatoires. »
On retrouve Paul Eluard, blessé sur le front, dans cette station-magasin. Il s'est marié en 1916 avec Helena Diakonovac, intellectuelle russe qu'il surnomme Gala. Ils ont un enfant, Cécile, le 11 mai 1918. Son épouse, sa fille et sa belle-mère habitent à Bray-et-Lû, qu'il rejoint en permission
En juillet 1918, Paul Eluard fait éditer dans les imprimeries du Petit Mantais appartenant aux frères Beaumont, sur une feuille volante bleue pliée en deux, Poêmes pour la paix, tirés à 400 exemplaires. Il en adresse à des personnalités parisiennes engagées dans la guerre et contre celle-ci, "malgré la censure" écrit-il.
Monde ébloui,
Monde étourdi.
I
Toutes les femmes heureuses ont
Retrouvé leur mari - il revient du soleil
Tant il apporte de chaleur.
Il rit et dit bonjour tout doucement
Avant d'embrasser sa merveille.
II
Splendide, la poitrine cambrée légèrement,
Sainte ma femme, tu es à moi bien mieux qu'au temps
Où avec lui, et lui, et lui, et lui, et lui,
Je tenais un fusil, un bidon - notre vie!
III
Tous les camarades du monde,
O! mes amis!
Ne valent pas à ma table ronde
Ma femme et mes enfants assis,
O! mes amis!
IV
Après le combat dans la foule,
Tu t'endormais dans la foule.
Maintenant, tu n'auras qu'un souffle près de toi,
Et ta femme partageant ta couche
T'inquiétera bien plus que les mille autres bouches.
V
Mon enfant est capricieux -
Tous ces caprices sont faits.
J'ai un bel enfant coquet
Qui me fait rire et rire.
VI
Travaille.
Travail de mes dix doigts et travail de ma tête,
Travail de Dieu, travail de bête,
Ma vie et notre espoir de tous les jours,
La nourriture et notre amour.
Travaille.
VII
Ma belle, il nous faut voir fleurir
La rose blanche de ton lait.
Ma belle, il faut vite être mère,
Fais un enfant à mon image...
VIII
J'ai eu longtemps un visage inutile,
Mais maintenant
J'ai un visage pour être aimé,
J'ai un visage pour être heureux.
IX
Il me faut une amoureuse,
Une vierge amoureuse,
Une vierge à la robe légère.
X
Je rêve de toutes les belles
Qui se promènent dans la nuit,
Très calmes,
Avec la lune qui voyage.
XI
Toute la fleur des fruits éclaire mon jardin,
Les arbres de beauté et les arbres fruitiers.
Et je travaille et je suis seul dans mon jardin.
Et le soleil brûle en feu sombre sur mes mains.
Jean Paulhan, écrivain et soldat lui aussi, les reçoit. Il rencontre Paul Eluard après la guerre et se lie avec lui. Le poète Paul Eluard est né.