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Le blog de Marc Jammet.

Aides aux entreprises: visiblement on ne veut pas savoir et on ne veut pas que cela se sache

20 Mars 2025, 11:37am

Publié par Marc Jammet

Alors que le gouvernement veut contrôler toutes les subventions en faveur du social, désignant du doigt les bénéficiaires du RSA , de la CAF ou de l'APL, les chômeurs d'être des fraudeurs en puissance, il est un domaine où il ne sait rien parce qu'il ne veut pas: les aides publiques aux entreprises.

Réclamée depuis longtemps les communistes, une commission sénatoriale a été mise en place dont le rapporteur est Fabien Gay, sénateur du groupe CRCE-K (communiste, républicains, citoyen, écologise et Kanaky).

Et il s'avère que le gouvernement ne sait rien ... parce qu'il ne veut pas savoir.

Il n'y en effet aucun dispositif mis en place pour évaluer le montant des aides publiques (subventions directes, de l'Etat ou des collectivités locales, d'allègements d'impôts) qui pourraient donc aller de 50 milliards à ... 250 milliards d'euros. Une paille!

Et ceci au moment où un certain François Bayrou, Premier ministre de son état, affirme qu'il est hors de question de revenir sur l'âge de départ à la retraite au nom des "grands équilibres" et de la montée des tensions internationales.

Pour le paraphraser: mais dans quel monde vit-il ?

L'article de l'Humanité

Les entreprises reçoivent-elles 50 ou 250 milliards d’euros d’aides publiques par an ? Quelles sont celles qui en profitent le plus ? Qu’en font-elles ? Les sénateurs ont ouvert une commission d’enquête sur un sujet qui donne le vertige : aucune administration en France ne semble disposer d’une vision claire. On débroussaille le sujet.

 

On ne sait si les sénateurs membres de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises se mettront d’accord sur des préconisations. Ils n’en sont qu’à mi-chemin de leurs travaux. Mais, quel que soit leur bord politique, leurs réactions furent unanimement partagées lors des premières auditions de hauts fonctionnaires et grands connaisseurs des budgets publics. Mines atterrées et yeux écarquillés, ils se sont tous exclamés à un moment : « Vraiment, votre audition confirme la nécessité de nos travaux. »

Effectivement, leurs questionnements se sont révélés d’une truculence que l’on n’aurait pas anticipée concernant un sujet aussi technique. Avant de finir ses travaux mi-juillet, la commission présidée par Olivier Reitmann (LR) et dont le rapporteur est Fabien Gay (groupe CRCE-K et directeur de l’Humanité) a déjà entendu des représentants d’administrations, de syndicats et des universitaires, avant d’interroger le patronat à partir de la semaine prochaine.

Des aides opaques

De combien parle-t-on ? Rien qu’obtenir le montant annuel des aides publiques perçues par les entreprises relève de la gageure. Le premier jour des auditions, le 3 février, c’est Sylvain Moreau, directeur des statistiques d’entreprises de l’Insee qui s’est lancé le premier et a évalué les aides directes à 70 milliards d’euros chaque année. « C’est un montant plancher », précise-t-il. Prend-il en compte les avantages fiscaux dans cette somme ? Les abattements de cotisations ? Les aides européennes ? « Non. Et je ne sais pas du tout si quelqu’un dispose d’éléments sur le nombre total de dispositifs », reconnaît Sylvain Moreau.

Peut-être Marc Auberger, inspecteur général des finances, aura-t-il des données plus précises. « Nous avons constaté un total de 88 milliards d’euros d’aide de l’État et des administrations de Sécurité sociale. Il faut certainement ajouter les exonérations de charges, soit un montant de 80 milliards d’euros, ce qui nous donne déjà un total de 88 plus 80, environ 170 milliards d’euros. Mais je pense qu’on en oublie… » Avant d’ajouter, hésitant : « Il se peut que l’on atteigne 200 milliards d’euros. Peut-être. »

Un consensus semblait s’approcher avec l’audition des économistes, auteurs du rapport « Un capitalisme sous perfusion », qui avait chiffré en 2019 l’ensemble des aides publiques versées aux entreprises à 157 milliards, montant qui a donc augmenté depuis la pandémie. Les 200, voire 250, milliards d’euros semblaient mettre tout le monde d’accord, l’ensemble des syndicats y compris, lorsque Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes, a avancé la semaine dernière le chiffre de 55,4 milliards d’euros d’aides d’État par an, selon la définition européenne, sous le regard médusé des sénateurs présents.

Car non seulement il n’y a aucun décompte officiel de la globalité des aides publiques aux entreprises, mais il n’y a pas non plus de définition de ce qu’elles sont. L’économiste Maxime Combes, coauteur du livre Un pognon de dingue, mais pour qui ? (Seuil, 2022), résume bien la situation : « Il existe plus de 2 000 dispositifs, personne n’a de vision globale, on ne sait pas précisément où l’on en est, aide par aide et personne ne s’y intéresse précisément. Il paraît inconcevable d’en être encore là en 2025. Si le même constat était fait sur les aides sociales, cela ferait scandale depuis des années. »

Marc Auberger apporte quelques éclairages sur les difficultés rencontrées : « Chacun identifie assez spontanément les aides directes, qui sont en grande partie des subventions, provenant d’une part de l’État, d’autre part des collectivités territoriales. On compte également parmi les aides publiques des mesures fiscales, des exonérations de cotisations sociales », énumère l’inspecteur général des Finances.

Il pointe aussi d’autres aides indirectes, pour électrifier les parcs de véhicules d’entreprise par exemple, et questionne : les aides à la formation et à l’accompagnement des chefs d’entreprise doivent-elles être comptées ? C’est aussi ce qui rend impossible, en l’état actuel, un contrôle d’ensemble. « Tout est cloisonné, toutes les administrations fonctionnent en silo : Urssaf, DGFiP, Ademe, le CNC, France 2030, etc. Chacun gère ses propres dispositifs », déplore encore Marc Auberger.

« Si j’étais à votre place, ça m’énerverait aussi »

En 2015, le Conseil d’État demandait au gouvernement d’élaborer un document de référence et invitait l’Insee et la direction du budget à réaliser une cartographie des dispositifs d’aides. Dix ans après : rien. « On évalue tout : les droits des chômeurs, les crédits du ministère de l’Environnement ou de la Santé… Bruno Le Maire dit qu’un euro dépensé doit être un euro efficace. Et là, de 50 à 250 milliards d’euros sont donnés chaque année, mais l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes seraient incapables d’en évaluer l’efficacité ! C’est un peu fou, tout de même ! », s’emporte le rapporteur Fabien Gay. L’inspecteur général des Finances lui répond, fataliste.

« Pour les évaluer, encore faudrait-il être capable de les suivre, savoir effectivement combien cela coûte. » Les sénateurs dans leur ensemble demandent alors la création d’un tableau général indiquant quelle grande entreprise touche quoi. Refus net de l’administration : secret fiscal et secret des affaires. Dans une étonnante forme de reconnaissance, le très libéral économiste Nicolas Bouzou répond aux élus effarés : « Si j’étais à votre place, ça m’énerverait aussi. »

Vaille que vaille, le rapporteur tente d’arracher des éléments pour mesurer l’efficacité de ces aides. « Les études sur les dispositifs comme le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) aboutissent, dans les évaluations les plus optimistes, à un coût d’environ 80 000 euros par an par emploi créé ou sauvegardé », avance l’économiste Jordan Melmies. Louis Gallois, à l’initiative du CICE, n’est pas d’accord. Il estime qu’il faut juger ce très coûteux dispositif (20 milliards d’euros par an transformé depuis en allègement de cotisation permanent) avant tout à l’aune de « la compétitivité et l’emploi, (qui) ne sont pas toujours complètement convergents ».

La compétitivité est l’argument massue pour balayer les nombreuses études, qui font pourtant consensus parmi les économistes, démontrant que les allègements de cotisations sont inefficaces au-dessus de 1,6 Smic. Maxime Combes préfère prendre le problème par l’autre bout : « Les entreprises massivement aidées entre 2020 et 2022 ont-elles massivement investi dans l’intelligence artificielle ? Pas vraiment, puisque l’on doit organiser un sommet pour cela. Dans les technologies de rupture ? Pas davantage et on le déplore souvent. Dans la relocalisation d’entreprises ? Le secteur industriel représente moins de 10 % du produit intérieur brut aujourd’hui », énumère l’économiste.

La Cour des comptes dresse un bilan guère plus flatteur des aides à l’innovation : la France, avec le Crédit impôt recherche (CIR), par exemple, est le pays de l’OCDE qui subventionne le plus l’innovation. Mais dans les classements internationaux, notamment sur le nombre de brevets déposés, notre pays se place en 12e place, 10e en Europe.

En dix ans, les aides aux entreprises ont augmenté de 215 %

« Et si nous réservions les aides publiques aux entreprises qui en ont besoin ? » lance Fabien Gay, changeant de stratégie. « En tant que parlementaire et citoyen, il est choquant de voir qu’une entreprise dont le chiffre d’affaires atteint plusieurs milliards d’euros touche des aides, tout en versant plusieurs milliards d’euros de dividendes et annonce la même année un plan de suppression de 2 500 emplois. Elle n’a peut-être pas besoin d’aides publiques », objecte le rapporteur, ouvrant la voie à un débat sur la conditionnalité des aides.

« Nous sommes également favorables au fait de demander un remboursement des aides si, la même année, des dividendes sont versés et des licenciements effectués », a abondé Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale CGT, lors de son audition. Le président LR de la commission n’est pas convaincu du lien entre aides publiques et dividendes. Mais les versements aux actionnaires du Cac40 ont été multipliés par près de cinq depuis 2010, quand sur la même période les aides aux entreprises ont augmenté de 215 %.

Pour autant, personne ne préconise la suppression des aides. « Il s’agit aujourd’hui du principal outil dont disposent le législateur et l’exécutif pour influer sur l’économie et la conduire là où il veut l’amener, rappelle Maxime Combes. Or nous nous sommes collectivement fixé des objectifs, en matière de décarbonation, de neutralité carbone, d’égalité hommes-femmes, d’accessibilité de l’emploi… »

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