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Le blog de Marc Jammet.

ÉNERGIE : ENTRE ILLUSIONS, INTENTIONS ET RÉALITÉ, CLAUDE AUFORT*

6 Décembre 2015, 22:22pm

Publié par Marc Jammet

Réchauffement climatique, épuisement des ressources, droit à l’énergie et réalité des besoins : quels choix se posent pour l’avenir énergétique de l’humanité ? Une équation mêlant réalités techniques et enjeux politiques. 

*Claude Aufort est chercheur, ancien administrateur du CEA.

L’énergie est le « sang » nécessaire au développement des sociétés. Dans les pays industrialisés, elle est incontestablement le socle sur lequel repose le fonctionnement du système technique. Le besoin d’énergie se heurte à des aspects contradictoires de la réalité. Les organisations humaines se développent dans un monde fini, notamment du point de vue des ressources fossiles, les besoins urgents en énergie doivent prendre en compte des contraintes inédites et des risques mal acceptés. Les hommes ont-ils les moyens de sortir de cet étau énergétique ?

 

DEUX ASPECTS CONTRADICTOIRES DE LA RÉALITÉ MONDIALE

D’une part, les conclusions du GIEC affirment avec 95 % de certitude que les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont responsables du changement climatique.

Les pays signataires du protocole de Kyoto se sont engagés en 1997 à réduire les émissions de GES pour limiter à 2 °C la hausse de la température moyenne du globe d’ici à 2050 ; au-delà de cette valeur, les impacts sur l’environnement et nos sociétés seraient dramatiques et irréversibles.

Cet engagement implique que les pays développés divisent par 4 leurs émissions de GES, en s’engageant dans une stratégie de sortie des énergies fossiles.

D’autre part, la demande énergétique mondiale ne peut qu’augmenter.

L’évolution de la démographie mondiale, la résorption des inégalités énergétiques, l’accès à l’eau douce et à Internet pour tous les peuples, la modification des modes de production pour ne pas aggraver les déséquilibres écologiques terrestres exigeront beaucoup d’énergie.

D’ici à 2050, nous devrons au moins doubler la production d’énergie primaire sur la Terre.

Pour affronter cette contradiction qui menace toutes les organisations humaines, de nombreux scénarios sont étudiés, parfois mis en œuvre.

Ils adoptent comme hypothèse l’une des deux perspectives politiques suivantes :

– accélérer une transition vers un système énergétique indépendant, efficace et fondé sur 100 % d’énergies renouvelables à terme (c’est le cas de la stratégie allemande) ;

– utiliser toute la diversité énergétique en permettant à chaque peuple de déterminer les choix indispensables qui répondent à ses besoins. Examinons ces deux perspectives en débat en allant à l’essentiel¹, et en ayant conscience qu’il s’agit de choix vitaux pour l’avenir de nos petits- enfants.

 

LE PARADOXE, LES ILLUSIONS ET LA RÉALITÉ TECHNIQUE

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Le flux solaire qui atteint la Terre fournit annuellement une quantité d’énergie environ 10 000 fois supérieure à la consommation mondiale. Or, historiquement, les hommes ont toujours manqué d’énergie. Pourquoi ?

 

Un premier paradoxe s’impose pour ce qui concerne l’énergie.

Le flux solaire qui tombe sur la Terre fournit annuellement une quantité d’énergie environ 10 000 fois supérieure à la consommation mondiale.

La vie sur Terre dépend de ce flux.

Le centre de la Terre est aussi une source inépuisable d’énergie sous forme de chaleur.

En plus de l’abondance d’énergie naturelle, Einstein² nous a montré que toute matière est en soi une source d’énergie potentielle.

Dans l’absolu l’énergie est une ressource inépuisable.
 

Or, historiquement, les hommes ont toujours manqué d’énergie.

Pourquoi?

Pour produire une énergie domestiquée utilisable par les hommes, il faut convertir les sources d’énergie naturelle dans la forme d’énergie souhaitée.

Il faut donc que le développement scientifique et technologique invente et exploite des convertisseurs, c’est-à-dire des dispositifs, des techniques et des savoir-faire humains qui assurent le passage d’une forme d’énergie à une autre.

L’histoire authentique de l’énergie est celle des convertisseurs.

 

QUATRE SOURCES NATURELLES D’ÉNERGIE

Les énergies de flux (solaire direct, vent, vagues, courants marins…) utilisent des phénomènes physiques qui ne produisent pas de GES.

Leur principal avantage est leur renouvellement permanent, d’où leur appellation d’énergies renouvelables (EnR).

Mais, elles sont diffuses et cycliques, voire intermittentes.

Alors que pour passer des énergies denses aux énergies diffuses il suffit de laisser faire la nature, le passage inverse impose à l’homme de faire tout le travail de concentration que la nature n’a pas fait.

Et ce passage contre nature a un coût économique important.

Par exemple, dans le domaine de la production d’électricité, le coût du mégawattheure nucléaire est compris entre 50 e t80 €, celui du gaz entre 80 et 120 €, celui de l’éolienon shore 90 et 160 € (supérieur à 180 € pour l’éolien off shore), celui du photovoltaïque supérieur à 280 €.

Par ailleurs, en l’absence de résultat dans la recherche relative au stockage de l’électricité ou de la réalisation de très nombreuses STEP³ là où cela est possible et accepté, leur caractère intermittent sera un obstacle important à leur développement.

 

À la surface de la Terre, la biomasse, l’hydraulique et la géothermie sont tout à la fois plus denses, beaucoup plus régulières et se renouvellent à une vitesse moyenne.

Elles sont considérées comme des EnR.

La place qu’on leur accordera dans le futur dépend de l’effort de recherche qui leur sera consacré et de leur acceptabilité par les populations.

 

Enfin, deux types de source sont issus de l’écorce terrestre.

 

Les plus importantes actuellement (80 % de l’énergie primaire mondiale) sont celles produites par la combustion des hydrocarbures (charbon, pétrole et gaz).

Elles sont denses : 1 kg de gaz naturel produit environ 16 kWh, 12 kWh pour 1 kg de pétrole et entre 4 et 8 kWh pour 1 kg de charbon.

Elles sont transportables et stockables, mais dans des limites qui ne dépassent pas quelques mois de consommation.

Elles ne sont pas renouvelables.

 

Elles sont toutes, à des degrés divers, émettrices de 82 % des GES, le plus important étant le CO2 qui est engendré par le processus physique utilisé : la combustion. Le charbon, la ressource la mieux répartie sur la Terre, la plus abondante du point de vue des réserves, la plus polluante, est le combustible no 1 de la planète.

Face aux besoins, son utilisation ne fait que croître.

Notre avenir dépend donc de deux possibilités : trouver une autre source naturelle capable de le remplacer et/ou engager l’effort de recherche pour réaliser le stockage et la séquestration du CO2 émis lors de sa combustion.

Nous savons déjà que cette seconde solution sera coûteuse et qu’elle pose des problèmes financiers, de connaissances fondamentales et d’éthique.

La quatrième source d’énergie naturelle, celle contenue dans le noyau atomique, est environ 1 million de fois supérieure à celles des énergies fossiles (avec la technologie des surgénérateurs).

Cette densité énergétique permet des stockages pouvant couvrir plusieurs années de consommation électrique, et la quantité d’énergie évaluée qu’elles représentent permet de reculer les risques d’épuisement de un millénaire.

Le retour d’expérience français montre qu’elles sont maîtrisables.

Les processus physiques utilisés ne sont pas producteurs de GES.

Toutefois, deux conditions sont nécessaires pour que tous les avantages de cette source naturelle soient crédibles.

L’effort de recherche technologique sur la génération IV des réacteurs de fission (notamment les surgénérateurs) doit être renforcé pour le court terme, comme celui sur la fusion pour le plus long terme.

Leur développement dépend de leur acceptabilité par la société compte tenu des risques d’accidents graves déjà survenus.

 

LES CONVERTISSEURS ET LE CAS PARTICULIER DE L’ÉLECTRICITÉ

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Les peuples doivent avoir le droit de choisir.

 

Un constat s’impose : c’est une chaîne de convertisseurs qui « crée » la source, et non l’inverse.

Elle lui assure en même temps un débouché.

Sans elle, la source la plus fabuleuse peut rester sans emploi (c’est actuellement le cas de l’énergie nucléaire de fusion : le convertisseur en énergie électrique n’est pas encore opérationnel), tandis qu’un besoin vital peut demeurer insatisfait.

 

Il convient d’accorder une attention particulière à une des énergies domestiquées utilisée : l’électricité.

Elle représente la forme d’énergie la plus efficace, la plus pratique, la plus écologique du point de vue de son transport et de son utilisation.

En plus de ses utilisations énergétiques, elle est aujourd’hui indispensable dans les domaines essentiels de l’information et de la communication (Internet, téléphone…).

Déjà très utilisée dans les transports collectifs, elle a sans doute un avenir prometteur pour les voitures individuelles, sous réserve d’un effort de recherche technologique soutenu.

Le deuxième principe de la thermodynamique4; entraîne un rendement faible du processus de transformation contre nature d’une énergie thermique en énergie mécanique utilisée pour produire l’électricité.

La perte qui s’ensuit ne peut être réduite que par un effort de recherche très important en direction des matériaux résistant à des températures élevées (en application du principe de Carnot).

L’effort de recherche dans tous les domaines est essentiel, nécessaire mais pas suffisant pour desserrer l’étau énergétique dans lequel nous nous trouvons.

Si la technique ne peut pas s’imposer sur une quelconque volonté politique, elle peut en élargir les champs d’action.

La réalité scientifique et technique ne nous laisse pas sans moyens ni sans espoir pour le présent et le futur. Qu’en est-il de la réalité politique ?

 

LES FAITS, LES INTENTIONS… ET LA RÉALITÉ POLITIQUE

 

Compte tenu de ce qui précède, pour disposer de l’énergie là où on en a besoin, au bon moment et correspondant à l’usage que l’on veut en faire, les choix sont multiples.

Ils dépendent de la source naturelle utilisée en fonction de sa densité, de ses possibilités de stockage, de sa disponibilité, de sa régularité, de son caractère renouvelable ou non et de ses émissions toxiques (GES et autres).

Ces choix sont l’affaire de chaque peuple, qui doit les déterminer à partir de sa réalité géographique, scientifique et technologique, géopolitique, économique, sociale et culturelle.

Mais l’enjeu de sortie des combustibles fossiles liée à la limite acceptable du réchauffement climatique impose la nécessité d’une mutation dont on mesure mal les conséquences dans tous les domaines de la vie.

L’action des femmes et des hommes, la politique, doit prendre un nouveau visage, celui de la solidarité, de la coopération et de la démocratie dans une coconstruction permanente qui définira pour chaque peuple les choix technologiques économiques et sociaux qui le feront avancer dans le respect des équilibres naturels de la Terre.

Dans cette perspective, la capacité de régulation des marchés et le rôle des États face à la recherche de compétitivité par les grands groupes multinationaux de l’énergie interrogent.

Plusieurs aspects de la réalité mondiale, européenne et nationale, traités dans le présent numéro de la revue, montrent des constats accablants.

 

CONCLUSION

 

Pour la première fois dans l’histoire, nous avons inventé et introduit des moyens qui peuvent mettre en cause les équilibres humains et terrestres.

Nous fabriquons des corps que la nature n’a pas sélectionnés, nous mettons en cause les équilibres écologiques, le nucléaire peut faire disparaître la vie.

Nous ne pouvons plus considérer aujourd’hui que les actions humaines, scientifiques et techniques d’un coté, politiques de l’autre, sont indépendantes.

Nous avons manifestement commencé à transporter l’imprévisibilité propre aux « affaires des hommes » dans le domaine même que nous pensions régi seulement par le caractère inaltérable des lois de la nature.

Hannah Arendt5considère que nous captons aujourd’hui la nature dans le monde humain.

Les domaines de l’histoire des hommes et de la nature s’interpénètrent maintenant.

La politique étant inhérente à la diversité humaine et à son renouvellement permanent, le problème qui nous est posé est de prendre en compte ce changement anthropologique en inventant de nouveaux rapports entre la nature et les affaires humaines.

C’est un changement de civilisation.

La concurrence, la compétitivité, le marché, le pouvoir d’une élite ne sont plus des évidences synonymes de progrès.

La solidarité, la coopération, la démocratie et le sens des responsabilités individuelles et collectives sont devenus des exigences pour chaque individu sur la Terre.

Ces considérations essaient de mettre en évidence la nécessité d’une réflexion fondamentale sur la nature, la culture et les potentialités intrinsèques de la politique qui n’a jamais auparavant révélé aussi ouvertement sa grandeur et ses dangers.


1 L’auteur de ce texte veut simplement éclairer quelques repères d’une analyse plus complexe qui permettra au lecteur d’accéder à la compréhension de la nature des choses mieux expliquée dans la bibliographie suivante : – Association Sauvons le climat, Éléments pour une politique raisonnée de l’énergie, « Les fiches du conseil scientifique », 2014. – Paul Mathis, l’Énergie, moteur du progrès ?, éditions Quæ, 2014. – André Lebeau, les Horizons terrestres, Gallimard, 2011. – Jean-Marc Jancovici, Changer le monde, Calman-Lévy, 2011.

 
2 Albert Einstein a précisé la relation qui existe entre la masse et l’énergie d’un corps : E = Δmc2 (Δm est la variation de masse et c est la vitesse de la lumière).
 
3 Il s’agit de stations de pompage capables de délivrer des puissances de plusieurs milliers de mégawatts grâce à l’eau retenue dans des réservoirs et déversée au moment voulu sur des turbines. Le barrage de Grand’Maison, dans l’Isère, a cette fonction.
 
4 C’est l’entropie (état de désordre) qui réduit d’environ deux tiers l’énergie électrique produite à partir de l’énergie thermique disponible. Cette loi de la nature a été découverte au XIXe siècle par Sadi Carnot. Rudolf Clausius et Ludwig Boltzmann en ont élaboré ensuite la connaissance théorique.
 
5 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 1958, et la Crise de la culture, 1961.
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